Je rentrais en courant à la maison, l’odeur de l’huile et du charbon encore dans les narines. Je sortais vite ma 231 C Jouef, seule loco vapeur avec tender séparé. Je me disais que c’était la 141 R que je venais d’observer. J’avais en mémoire sa couleur exacte, sa traverse avant et ses cornières de rive bien rouges. Pas de peinture pour maquettes chez nous à l’époque. Je prenais le vernis à ongles de Maman. Il y avait le petit pinceau fixé au bouchon, l’idéal pour “maquiller” ma loco… Ah ! Comme ça elle ressemblait déjà plus à la grande ! Je rêvassais en la regardant. Peut-être qu’un jour Jouef ferait une vraie 141 R et que, par de multiples dons accumulés (communion, noëls, anniversaires…) je pourrais me l’acheter ? Qui n’a pas vécu ça étant gosse ne peut prétendre faire du modélisme ferroviaire avec passion. Et la passion, rien de grand en ce monde ne s’est fait sans elle. Ce ne sont certainement pas ceux qui achètent des locos pour les “mettre au frigo” et les revendre avec profit, qui lisent les articles de transformations. Ils les regardent à travers le plastique de la boîte, n’y touchent même pas. Compter ses sous, quelle vie monotone ! On ne s’offre pas une raquette de ping-pong ou de tennis, une paire de skis, un appareil photo ou un ordi pour les regarder sans y toucher, mais pour s’en servir. Le modélisme, j’ai pas compris que c’était accumuler des modèles comme des couvercles de camembert. Les figurinistes ne font que ça : habiller, peindre, patiner. Ceux qui affectionnent les véhicules miniatures (militaires ou autres) “s’éclatent” à refaire la peinture, à modifier et personnaliser leurs modèles avec des repros d’autocollants, des impacts, des éléments tordus, déformés, salis. Si on écarte nos œillères on les voit aussi, ces passionnés et leurs maquettes dans les expos, et on aime ce qu’ils font. Nous aussi faisons jouer la lumière sur nos modèles ! Pour cela, il n’y a pas d’autres façons d’agir : relief et aspect de surface. Je respecte toutes les préférences. Un seul mot d’ordre : liberté ! Mais pour moi, pratiquer un modélisme ferroviaire épanouissant à notre époque, c’est faire des recherches sur ce qui existe ou existait dans une région, etc..., et recréer cette réalité. La face culturelle et la face pédagogique de notre activité me paraissent indispensables. Les grandes expos et les reportages nous montrent les réseaux-phares du moment. Compléments indispensables au thème de l’oeuvre, quelle admiration que d’y découvrir, circulant dessus, des locos dont l’exactitude des détails et le soin apporté à leur livrée apportent la cohérence à l’ensemble présenté ! Les “trains-jouets qui sortent de leur boîte” ne portent sur eux aucun signe de recherche ou de création apporté par leurs possesseurs. Il est plus logique de les voir circuler dans les vitrines des magasins et sur les réseaux de démonstration des fabricants. Le fait qu’une bonne loco coûte mille balles n’est pas un argument pour nous empêcher de la rendre aussi réaliste que notre décor. Certains modèles réduits d’automobiles très fidèlement reproduits coûtent ce prix-là. Notre machine est, de plus, animée par une mécanique performante ! A quoi bon écrire dans un magazine de modélisme si son contenu doit ressembler aux journaux gratuits de petites annonces ou à un catalogue ? Toutes les revues de modélisme ferroviaire publient régulièrement des articles proposant des méthodes simples et attractives invitant les lecteurs à améliorer et personnaliser leur matériel roulant, plutôt que l’horoscope et le programme de la télé. Il doit bien y avoir une raison. A partir d’un modèle strictement identique à des milliers d’autres avec son aspect “jouet”, quelle satisfaction j’ai à obtenir une loco qui "fasse vrai", avec ses particularités afférentes à son numéro ! Elle devient alors vraiment MA loco, affectée au service de MON installation, et non plus un “ramasse-poussière” anonyme. Je ne suis pas le seul, je rencontre des tas “d’accros” à cette pratique, dans les expos et les salons. Ami lecteur, rejoins-nous ! Ose déjà remplacer ce qui ne demande pas de coup de main particulier. Les exemples ne manquent pas sur cette 141 R. Tu verras, tu ne pourras plus t’en passer. Sacré plaisir garanti. La preuve, tu m'offrirais une "Fulgumétro-Lemapex" que je lui ouvrirais le ventre aussi sec pour voir ce qu'il y a dedans et l'améliorer. Alors, tu te lances ? C'est toute l'histoire de la vie. N'y pense pas. Fais-le. Eric Seibel – avril 2000 |