BÉRET VERT

 

Paulo

Après ses débuts comme attaché, le jeune cheminot Paulo va bientôt poursuivre sa carrière dans les bureaux de la Direction régionale Transports. Il est fier d’arborer sa tenue « d’agent mouvement », assortie à sa « Cox ».
Succès auprès des secrétaires lorsqu’il vient se présenter avant de prendre ses nouvelles fonctions.

C’est la fin de la traction vapeur, de nombreuses locos en état de décrépitude attendent leur démolition. Les dépôts étant engorgés, l’annexe de Sainte Piste sert de remisage.

Le nouveau chef de Paulo a réussi à obtenir le sauvetage d’une 141. Il lui explique son projet et lui propose de se joindre à l’association qu’il a crée pour remettre la loco en état et la faire rouler de nouveau. Notre ami - aussi un amoureux de la vapeur – accepte aussitôt.

C’est le grand jour ! Les membres de l’assoce se retrouvent au rendez-vous avec le directeur de la traction, venu formaliser l’accord avec le chef de Paulo, en compagnie de celui de l’annexe. Le journaliste local immortalise l’évènement.

La loco a trouvé refuge dans un ancien atelier devenu inutile pour la SNCF. Paulo, comme les autres courageux membres de l’assoce, ne ménage pas sa peine. Surtout que son chef lui a aménagé ses horaires pour pouvoir l’utiliser une partie de son temps aux travaux sur la loco.

Paulo y va presque par plaisir et dépasse allégrement son heure de sortie légale. Il travaille à la spatule pour décoller les blocs de crasse sous la chaudière, sur les roues, entre les roues et le châssis…
Bon petit soldat pour son chef, les autres l’appellent « son petit protégé ».

Le Sémaphore

Le chef parle avec les mains et gesticule beaucoup. Or à la Direction Régionale, en ces années 1970-80, il y a quantité « d'Apéros" pour fêter tout et n'importe quoi. Comme le verre plein qu'il tient à la main devient vite gênant, il le siffle d'une traite pour se libérer. Il y a toujours quelqu'un qui - profitant de son attention centrée exclusivement sur sa discussion - lui remplit à nouveau son verre pendant un moment d'inattention. Il le descend à nouveau cul-sec sans même s'en rendre compte...uniquement pour libérer ses mains. Une de ses subordonnées - dite "la pintade" - s'en amuse beaucoup et est la première à le resservir. Tout le monde sait et on s'amuse tous à le voir boire de la sorte, tout en tenant des discussions sérieuses ou passionnées. Il finit bien énervé.
"Je me sens tout redodaou ! " une expression du Sud sans doute, dit-il avant de rentrer chez lui.
C’est ainsi qu’il est d’abord surnommé« Le sémaphore ».

 

Béret vert

A l’assoce, pendant les séances de travail sur la loco il prononce très souvent la phrase « Moi là-dedans, c’est moi qui fait tout ».
Il n’en faut pas plus pour qu’il soit affublé cette fois du surnom : « Moi là d’dans ».
Voilà qu’en se penchant sur un grand "camion" de peinture, son béret tombe à plat sur ce lac vert...floc !

Radin légendaire qu’il est, il laisse sécher le béret et l'utilise ainsi pendant longtemps. Noir dedans, vert dessus.
C’est ainsi qu’il devient « Béret vert ». A l’assoce comme chez les cheminots on aime donner des surnoms à tout le monde.

On peut le voir de temps à autre voyager en première classe, toujours vêtu de son pantalon vert style « feu au plancher », avec pour tout bagage …un arrosoir en plastique.  Il fait à chaque fois un comptage des voyageurs.

Enfin la loc’ revient des ateliers de Gray, remise dans sa livrée d’origine et en état de marche. C’est le grand jour, mais pas pour le président de l’assoce, que « Béret vert » a viré comme un malpropre avoir bien profité de lui, comme il a l’habitude de faire. Il n’aime pas les gens, seulement pour s'en servir.

Un artisan peintre en lettres est arrivé à l’assoce, il appose les inscriptions sur la loco. Paulo apprend beaucoup avec lui, ils deviennent de bons amis.

Paulo fini par lâcher prise petit à petit, comme tant d’autres. Les trains touristiques peuvent commencer, et le « Grand sauveur de la traction vapeur » en récolter toute la gloire.

 

Eric Seibel - novembre 2021